Un contrat est un contrat. Ainsi pourrait se résumer la position du juge des référés civils du tribunal de Strasbourg, qui a rendu cette semaine plusieurs décisions dans l’affaire des prêts immobiliers indexés sur le taux Libor 3 mois en francs suisses (CHF). Une quinzaine de souscripteurs d’emprunts immobiliers, souvent des frontaliers, ont saisi la justice lorsqu’ils ont constaté que le Crédit Mutuel avait bien appliqué les hausses du Libor 3 mois CHF sur leur taux effectif mais que la banque fédérative ne prenait plus en compte les baisses à partir de janvier 2015.
Car à cette date, le Libor 3 mois CHF est devenu négatif, un phénomène tout à fait imprévu par la banque. Ce taux a même tellement plongé qu’ajouté à la marge de la banque, le taux effectif du prêt pouvait atteindre zéro voire lui aussi devenir négatif dans certains dossiers. Inacceptable pour le Crédit Mutuel qui a, unilatéralement, décidé d’appliquer un taux « plancher » équivalent à sa marge, soit 0,2 à 2% selon les dossiers.
La banque ne peut décider du taux d’indexation
Mais c’est précisément cette attitude qui est reprochée à la banque fédérative. Dans ses motifs, le juge des référés du tribunal de Strasbourg explique :
« Ce qui est constaté, c’est que la banque ne veut plus appliquer l’index correspondant au contrat et qu’elle substitue à l’index choisi par les parties une autre indexation qu’elle fixe d’autorité. Or elle ne peut fixer à l’indexation choisie une autre déterminée en fonction de ses considérations propres, à savoir ses propres intérêts. Ce faisant, elle modifie unilatéralement les clauses du contrat. Si l’index avait évolué à la hausse, c’est exactement l’argument qu’elle aurait opposé au débiteur pour le contraindre à s’exécuter. »
Et bim. Le juge des référés est appelé juge de l’évidence, on ne saurait être plus clair. Le magistrat remarque par ailleurs que les contrats faisant l’objet de ces litiges ne comportent pas toujours de taux plafond ni encore moins de taux plancher :
« La banque n’a pas fait figurer au contrat un taux d’intérêt plancher de 0%. Elle ne peut donc limiter le Libor à zéro. En le bloquant à zéro, elle rompt purement et simplement le contrat. »
De son côté, le Crédit Mutuel arguait qu’un prêt est contracté à titre onéreux et qu’un taux négatif changeait la nature du contrat. Le magistrat répond que le coût d’un prêt doit s’apprécier sur la totalité de la durée du remboursement consenti, et qu’en l’espèce les clients de la banque avaient régulièrement payé des intérêts lorsque les taux étaient conformes aux prévisions de la banque.
Le juge des référés proche du fond
Dans son argumentaire, la banque fédérative a essayé de discréditer le Libor, en indiquant qu’un changement avait eu lieu à Londres et que l’indice sur lequel se fondait les contrats n’existait plus. Là encore, le juge, qui s’est étonnamment plongée dans les détails pour une juridiction de référé, relève que si un changement de gouvernance avait bien eu lieu au sein du Libor, le nouvel indice a quand même été appliqué par le Crédit Mutuel pour calculer les taux effectifs pendant près d’un an, avant qu’il ne devienne négatif.
En conséquence, le tribunal des référés civils a condamné le Crédit Mutuel à « appliquer au contrat le taux d’intérêt variable indexé à l’évolution du Libor CHF 3 mois », comme prévu et à fournir aux emprunteurs une nouvelle version de leur tableau d’amortissement. Les parties requérantes ont été débouté de leurs demandes d’astreintes et de provisions. Cependant, ces décisions du juge des référés sont exécutoires.
Contacté, le Crédit Mutuel n’a pas donné suite à nos sollicitations. Ses clients attendent désormais de la banque leur nouvel échéancier de pied ferme, une quinzaine d’entre eux sont représentés par Me Nicolas Fady à Strasbourg. D’autres procédures sont en cours, via Me Katia Debay et l’association pour la légalité des opérations et mouvements bancaires (Aplomb). De son côté, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (APCR) de la Banque de France suit de près ces dossiers de taux d’indexation négatifs et est intervenue auprès de plusieurs banques pour leur rappeler leurs obligations contractuelles.
Mais si le Crédit Agricole et la BNP, concernées par des cas similaires, ont transigé et, selon les cas, intégré les évolutions négatives ou proposé de nouvelles conditions à leurs clients, ce n’est pas le cas du Crédit Mutuel comme l’indiquent plusieurs témoignages postés sur un forum de frontaliers sur Internet.
Dans une lettre envoyée à ces clients, le directeur de la caisse de Saint-Louis qui concentre la majorité des contrats litigieux, Jean Ellminger, leur répondait que les évolutions du franc suisse leur avaient déjà été favorables. Autrement dit, qu’ils n’avaient pas à se plaindre ! Jean Ellminger invoque ensuite la volonté initiale des parties et « le silence du contrat » pour justifier l’application d’un taux nul plutôt qu’un taux négatif pour le Libor.
Il faudra désormais aller chercher ailleurs.